
Par Vincent Trousseau (*)
La prochaine révision du manuel Sphère constitue une occasion sans pareille de repenser les modalités de l’aide, d’ancrer les conseils sur la programmation de qualité axée sur les transferts d’espèces et de formuler les questions liées à la qualité de l’aide, tout en autonomisant les communautés afin qu’elles puissent être les principaux acteurs de leur propre relèvement.
En réponse à l’adoption croissante de programmes de transferts d’espèces dans tous les secteurs et se tournant vers les besoins auxquels va être confrontée la communauté humanitaire au cours des quelques prochaines années, le Projet Sphère et le Cash Learning Partnership (CaLP) ont récemment .
Ensemble, Sphère et CaLP compléteront les standards actuels en élaborant d’autres standards techniques sur la programmation multisectorielle basée sur les transferts d’espèces (Cash Transfer Programming – CTP) et dans le cadre du Partenariat mondial pour les standards humanitaires.
Le 26 avril 2016, une variété de spécialistes se sont réunis à Londres pour prendre part à un atelier sur le rôle des standards techniques dans la CTP pour les abris et l’approvisionnement en eau, l’assainissement et la promotion de l’hygiène (WASH). Les participants à cet atelier de travail ont par ailleurs examiné les liens entre la CTP et des concepts fondamentaux comme la qualité, la protection, la redevabilité et la réalisation des droits.
Un nombre croissant d’organisations investissent actuellement dans le renforcement des capacités et la préparation afin d’élargir leur intervention axée sur les transferts d’espèces, ce qui secoue les fondations mêmes de leur approche traditionnelle de la fourniture d’aide. L’aide sous forme d’espèces à grande échelle requiert maintenant des standards aussi robustes que les standards techniques relatifs à l’aide en nature, élaborés et affinés au cours des quelques dernières années par le Projet Sphère et ses Standards associés.
« Si les programmes en nature continueront de constituer une modalité importante de l’aide, les interventions basées sur le marché sont de plus en plus perçues comme aidant les personnes à prendre leurs propres décisions », a expliqué Christine Knudsen, directrice du Projet Sphère, pour préparer le terrain en vue des discussions de l’atelier de travail.
« La CTP a le potentiel de transformer l’aide humanitaire », a expliqué Simon Eccleshall, Chef de la gestion des catastrophes et des crises à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
« Il y a des données qui indiquent que nous sommes sur le point d’atteindre un point de bascule. Nous en sommes à environ 6 % d’aide humanitaire apportée sous forme de transferts d’espèces, mais une partie de la rhétorique évoque l’idée d’atteindre 60 % dans un avenir proche. »
L’essor de la programmation basée sur les transferts d’espèces demande une nouvelle approche qui va plus loin que l’approche sectorielle traditionnelle. « Notre tâche consiste à trouver de nouvelles manières d’aborder d’anciens problèmes liés à la qualité et à la redevabilité », a déclaré Paula Gil Baizan, coordonnatrice du plaidoyer du CaLP.
Le fait d’autonomiser les personnes vulnérables pour qu’elles puissent pourvoir à leurs propres besoins en leur proposant des espèces signifie la perte du « contrôle » pour ce qui est de l’utilisation de l’aide humanitaire. Dans une telle situation, comment pouvons-nous veiller à ce que l’aide finisse par satisfaire ou dépasser la qualité de l’assistance en nature apportée à l’heure actuelle ?
Cette question centrale a incité certains bailleurs de fonds à appliquer des exigences plus strictes pour les mécanismes de suivi et de redevabilité post-distribution. Ces exigences, même si elles constituent des défis, encouragent une programmation de meilleure qualité ainsi que de meilleures pratiques de suivi et d’évaluation.
L’aide dans le secteur des abris est un bon exemple de l’importance de la qualité et de l’attention nouvellement accordée à la redevabilité dans le cadre d’une approche de CTP.
« Les acteurs humanitaires ont la responsabilité de veiller à ce que les personnes utilisant l’argent pour les abris obtiennent des abris de qualité respectant les normes de qualité minimales », a expliqué Davide Nicolini, Point focal mondial pour la coordination du cluster Abris de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Cela signifie que ce seront l’industrie de la construction, les réglementations relatives aux biens immobiliers ou les autorités gouvernementales communautaires et les architectes qui devront adhérer aux normes comme les standards Sphère en matière d’abris.
Une particularité de la programmation basée sur les transferts d’espèces réside dans le rôle des acteurs du secteur privé, y compris les banques. La communauté humanitaire dépendra de plus en plus d’acteurs locaux pour la fourniture de biens et de services et pour répondre aux besoins des populations touchées par des crises et des catastrophes. Il faudra élaborer des normes autour de ces interactions.
Dans l’architecture humanitaire actuelle basée sur les secteurs, où se situeraient les normes relatives aux programmes de transferts d’espèces ?
Jenny Lamb, conseillère d’Oxfam en matière de WASH, a souligné que les espèces ne devraient pas être considérées comme une modalité d’intervention autonome. « Nous devons réfléchir à la manière dont les transferts d’espèces s’inscrivent dans un bouquet plus large d’aide. Les espèces pourraient être intégrées dans une variété de normes », soutient Mme Lamb, soulignant l’équilibre entre la standardisation et la souplesse.
Le potentiel transformateur des transferts d’espèces sur le secteur humanitaire a imprégné les discussions de l’atelier, qui sont allées de l’influence exercée par les espèces sur les approches actuelles à une reconception complète du rôle des agences humanitaires dans la prestation d’aide.
Wendy Fenton, coordonnatrice du Humanitarian Practice Network, a lancé un défi au groupe : « Nous n’avons pas besoin de continuer à faire la même chose [que nous faisons actuellement] avec un peu plus d’argent ; nous devons plutôt sortir de notre « zone de confort » et repenser la manière dont l’aide doit être remodelée et ce que devrait être le rôle approprié des organisations humanitaires. »
Au moment de trouver le bon équilibre entre l’intervention basée sur les espèces et celle basée sur les standards sectoriels, il faut considérer quelques questions techniques :
Besoins collectifs contre individuels : La nature même des transferts d’espèces, qui donnent un choix et permettent aux bénéficiaires de classer leurs besoins par ordre de priorité, crée une tension entre la compréhension par les acteurs humanitaires des implications plus larges sur la santé et ce que les personnes considèrent comme leurs besoins prioritaires.
Les normes doivent donc reconnaître la tension entre la liberté de choix et, par exemple, les impératifs liés à la santé publique. Des standards techniques non négociables ont été proposés comme moyen de parvenir à l’équilibre idéal entre les besoins collectifs et les besoins individuels.
Contextualisation et souplesse : Dans un esprit similaire, les standards doivent être suffisamment souples de par la contextualisation de leurs indicateurs. Pour ce faire, il faut se concentrer davantage sur le contexte, les besoins de protection et l’analyse du marché avant de concevoir une quelconque intervention.
Suivi et évaluation : Il faut des méthodologies précises pour la programmation basée sur les transferts d’espèces. Elles peuvent se fonder sur des outils numériques le cas échéant, comme les e-transferts. Il faut toutefois une capacité d’analyse plus robuste, ce qui peut faire intervenir des acteurs provenant du domaine humanitaire.
Les transferts d’espèces assignent un pouvoir accru au niveau communautaire ou individuel, de sorte qu’ils changeront la donne pour les pratiques actuelles et auront forcément une incidence sur l’évolution des normes dans le domaine de l’aide humanitaire.
La révision prochaine du manuel Sphère, qui sera lancée en 2016 et se poursuivra jusqu’à fin 2017, constituera la plateforme pour la discussion cruciale sur la manière de conjuguer les standards techniques et les approches basées sur les espèces.
Les standards sectoriels Sphère révisés devraient pleinement accepter la tendance émergente vers la CTP et veiller à ce que la programmation basée sur les transferts d’espèces reste fortement liée à une aide de qualité sur laquelle la communauté est toujours tenue de rendre des comptes.
(*) Vincent Trousseau est agent de gestion de la communication et de l’information du CaLP. Une version plus longue du présent article a été publiée ici.