« Les principes Sphère trouvent toujours plus écho à l’heure de mettre les communautés affectées par une catastrophe ou un conflit au cœur de la réponse humanitaire » — dit John Damerell.
Nommé responsable du projet Sphère en février 2009, John Damerell a apporté avec lui sa longue expérience dans les opérations de secours et le travail de développement acquise en Afrique, en Asie, dans les Balkans et au Moyen-Orient. Il avait par ailleurs participé au développement initial des standards Sphère en 1997, avant d’être membre entre 2002 et 2005 du Comité de gestion du Projet Sphère, prédécesseur de l’actuel Conseil d’administration.
Comme il aime à le rappeler, « à mon arrivée à Sphère, je disposais d’une expérience opérationnelle et dans un premier temps, la possibilité d’agir sur le terrain en situations d’urgence m’a manqué. Cependant, j’ai rapidement réalisé que mon expérience me permettait de mieux comprendre certains des aspects entourant la mise en pratique de Sphère sur le terrain. J’ai ainsi pu faire preuve d’empathie à l’égard, par exemple, des représentants de projets relatifs à l’approvisionnement en eau, à l’assainissement et à la promotion de l’hygiène ou aux abris lorsque nous avons abordé ensemble les standards et indicateurs pertinents ».
Cela a été une période gratifiante, mais ô combien exigeante ! Nous nous sommes surtout appliqués à garantir que le manuel Sphère et les ressources associées restaient pertinents et accessibles aux travailleurs humanitaires déployés sur le terrain dans le monde entier.
À mon arrivée à mon poste, il fallait en priorité réviser l’édition 2004 du manuel (la « version [à la couverture] orange »). Mais dès que nous nous sommes lancés dans cette entreprise, il est apparu que, contrairement à ce que nous pensions, la tâche n’allait pas être facile. D’importantes améliorations étaient en effet requises. Il nous fallait notamment amener la Charte humanitaire au XXIe siècle, ajouter des principes de protection et nous pencher de nouveau sur les standards communs – les futurs standards essentiels – et sur tous les chapitres techniques.
Je me souviens qu’alors que nous nous apprêtions à faire réviser la version provisoire, l’île d’Haïti était frappée par le tremblement de terre de 2010, et la majorité de nos relecteurs a été envoyée sur le terrain. Bien entendu, la réponse humanitaire a eu priorité – elle a même peut-être été bénéfique à la révision de la version provisoire sur le long terme – mais en conséquence, la révision du manuel a pris plus de temps que prévu. Lancé simultanément dans de nombreux pays en avril 2011, le nouveau manuel a suscité un intérêt considérable au sein du secteur humanitaire.
En s’appuyant sur le nouveau manuel, les collaborateurs du bureau de Sphère, forts du soutien de nombreux défenseurs convaincus de Sphère à travers le monde, ont développé un cours en ligne qui fait office d’introduction à la philosophie, aux principes et aux standards essentiels de Sphère. Une sacrée aventure, et je crois que le produit final parle de lui-même. Tous les acteurs du secteur feraient bien d’y jeter un coup d’œil !
Le nombre de standards associés de Sphère a progressé ces cinq dernières années. On en compte désormais quatre, qui couvrent l’éducation, la protection de l’enfant, l’encadrement de l’élevage et le relèvement économique précoce. Ces associés parlent le même langage que Sphère et incarnent la même approche basée sur les droits.
L’étoffement de la grande famille des standards de Sphère dans ces domaines essentiels aide à n’en pas douter les travailleurs sur le terrain à améliorer l’assistance aux personnes affectées par un conflit ou une catastrophe. À mon sens, Sphère devrait préserver son engagement en faveur de cette approche à l’avenir.
Nous avons également entrepris d’améliorer notre travail de plaidoyer et de communication, afin de nous assurer de bien cibler les personnes appropriées. Plus récemment, et probablement en partie pour répondre aux changements observés dans la région, nous avons mis davantage l’accent sur le monde arabophone.
En 2013, le bureau du Projet Sphère a déménagé. Nous avons quitté le siège de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), qui nous hébergeait depuis les débuts du Projet, et nous sommes installés dans les locaux du Conseil International des Agences Bénévoles (ICVA). Et à l’aune d’une plus vaste diffusion de Sphère, les opportunités que l’ICVA et son réseau d’ONG nationales et internationales offrent sont considérables.
Ces dernières années, je me suis senti privilégié d’avoir travaillé avec une équipe relativement réduite (cinq personnes seulement, dont trois à temps partiel) mais formidable. Leur engagement et leur productivité n’ont cessé de m’impressionner.
Soulignons toutefois que le Projet Sphère va bien au-delà du bureau du Projet Sphère. Au bureau, nous sommes pour ainsi dire les « gardiens », mais les véritables « propriétaires » sont bel et bien les communautés de champions et de praticiens de Sphère sur le terrain.
Lorsque l’édition 2011 du manuel a été publiée, Valerie Amos, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies aux affaires humanitaires, l’a qualifiée « d’étalon-or de l’assistance humanitaire ». Preuve s’il en est, à mon sens, de l’acceptation et de l’utilisation actuelles de Sphère de par le monde.
Les ONG, aussi bien nationales qu’internationales, utilisent les standards Sphère. Les gouvernements de pays affectés par des catastrophes les ont inclus dans leurs politiques de gestion des crises humanitaires. Les gouvernements bailleurs exigent d’inclure Sphère, et pas seulement en théorie, dans les demandes de subventions. Et de plus en plus, Sphère joue un rôle dans le système onusien, que ce soit au niveau opérationnel ou en termes de coordination.
À l’évidence, Sphère a déjà fait du chemin. Pourquoi ? Je pense que les principes Sphère – le droit à vivre dans la dignité, à recevoir une assistance humanitaire et à bénéficier de protection et de sécurité – trouvent toujours plus écho à l’heure de mettre les communautés affectées par une catastrophe ou un conflit au cœur de la réponse humanitaire.
Cela étant, du travail reste à faire. Les utilisateurs de Sphère ont encore et toujours un défi à relever : prendre en considération le contexte dans lequel ils travaillent. Le manuel Sphère n’est pas un guide pratique, et ses pages ne contiennent pas toutes les réponses. Il est important de comprendre que deux réponses humanitaires ne sont jamais les mêmes – le contexte doit être intégré à l’équation, afin que les travailleurs humanitaires ne baissent pas les bras de frustration en s’exclamant « Sphère ne fonctionne pas dans ce cas de figure ».
L’existence de plusieurs initiatives édictant des standards dans le secteur à l’heure actuelle, en marge des associés de Sphère que j’ai déjà mentionnés, indique que les travailleurs humanitaires sont à l’aise en travaillant avec des standards et qu’ils les évaluent positivement. Je dirais que l’utilisation des standards et des indicateurs permet au travailleur humanitaire de disposer d’une base réalisable et vérifiable pour le guider dans ses efforts.
Le sous-secteur de la qualité et de la redevabilité, qui va au-delà des initiatives définissant des standards, s’est lui aussi étoffé au fil des ans. Il y a quelques années, nous n’étions que cinq ou six à participer aux réunions du « groupe qualité et redevabilité » ; nous sommes désormais bien plus nombreux. Au regard de ce scénario en pleine évolution, Sphère a apporté – et continue d’apporter – une contribution importante en engageant activement un dialogue avec les autres acteurs.
À bien des égards, cela indique une professionnalisation accrue du secteur. Car si, lorsque j’ai commencé, il n’existait aucun diplôme en affaires humanitaires, de plus en plus d’universités et d’institutions proposent désormais éducation et formation en la matière. Pour Sphère, cela signifie qu’il faut collaborer avec ces établissements académiques et formateurs, de façon à veiller à ce que les standards humanitaires figurent bien dans leurs cursus.
Cette professionnalisation au sein du secteur se traduit par un accent plus marqué sur le rôle et le besoin de certifications. Sphère adopte une approche volontaire en la matière. Nous reconnaissons que les processus de certification peuvent recourir aux standards Sphère, mais l’accès aux standards ne peut être limité par la certification. Le choix final doit rester entre les mains de l’utilisateur.
Ces deux dernières années, le Projet Sphère s’est engagé avec deux initiatives définissant des standards (HAP International et People In Aid), dans une volonté de rechercher davantage de cohérence dans les standards humanitaires. Cet effort, qui s’est déroulé en parallèle au processus de standards associés de Sphère que j’ai évoqué précédemment (en définitive, une autre expression de la même idée), était dénommé l’Initiative conjointe des standards humanitaires (JSI).
Celle-ci aspirait dans un premier temps à mieux appréhender la situation que rencontraient les travailleurs humanitaires à l’heure d’améliorer la qualité et la redevabilité de leur travail et, dans un deuxième temps, à apporter des améliorations.
L’une de ses réussites les plus significatives a été la consultation menée par l’Initiative auprès des acteurs du secteur. Le rapport de la consultation démythifie le concept qui veut qu’en matière de standards humanitaires, c’est la « prolifération » qui pose problème. De fait, il apparaît que les obstacles principaux à leur mise en œuvre sont le manque de connaissances et une formation inappropriée.
Cette constatation a été pour moi comme une révélation. Et si la consultation a confirmé que les standards Sphère sont à la fois les plus utilisés et les plus utiles, j’ai compris que nous avions peut-être besoin de progresser encore dans ces aspects, en accordant à l’avenir davantage d’attention à la formation et à la prise de conscience.
À la suite du processus JSI, les trois initiatives impliquées se sont efforcées durant 2013 de développer un Standard humanitaire essentiel en puisant dans le Standard de HAP, le Code de bonne pratique de People in Aid et les standards essentiels de Sphère. Lors de sa réunion de novembre de l’an dernier, le Conseil d’administration de Sphère a décidé que le Projet Sphère ne serait plus impliqué dans le développement du Standard humanitaire essentiel ou d’autres activités liées.
Il ne s’agit pas pour moi d’entrer dans les détails de la décision du Conseil d’administration, mais je tiens à souligner que le processus du Standard humanitaire essentiel a laissé apparaître des différences d’approche fondamentales. Celles-ci ont suggéré qu’il serait plus judicieux pour HAP et People In Aid de continuer sans que Sphère ne passe pour un « frein », en raison justement de ces différences.
Le Projet Sphère est en pleine évolution et en pleine forme ! Le secteur bouillonne d’activités qui requièrent un suivi du travail effectué. Dans le même temps, l’évolution du paysage humanitaire doit être prise en compte.
Nous avons été témoins de la transition du Comité permanent interorganisations (IASC) de la réforme humanitaire au programme transformatif. Pour Sphère, le Conseil d’administration révisera sa stratégie actuelle en 2014, et une nouvelle stratégie sera ensuite développée, afin de faire avancer le Projet.
Le Projet Sphère s’implique par ailleurs dans le thème de l’efficacité humanitaire du Sommet humanitaire mondial que le Secrétaire général de l’ONU a convoqué pour 2016. Le processus qui sera mené en amont du sommet fournira à n’en pas douter des lignes directrices pour le secteur et aura également son importance dans la nouvelle stratégie de Sphère.
Et bien entendu, un nouveau responsable du Projet Sphère sera très bientôt nommé ; il apportera de nouvelles idées et insufflera une énergie fraîche au Projet.
Les défis restent les mêmes : Sphère ne doit pas passer pour une initiative eurocentrée dominée par le Nord, il lui faut consolider son rôle de « lingua franca » du secteur humanitaire et garder sa pertinence.
Mais j’ai la certitude que le nouveau responsable, entouré de toute l’équipe du bureau Sphère, saura les relever. Car en fin de compte, tous peuvent compter sur la communauté de Sphère dans son ensemble : c’est à elle que Sphère appartient réellement.
L’heure est venue pour moi de tirer ma révérence. Après cinq ans à mon poste, je crois que c’est le bon moment – il est temps pour moi de laisser ma place à un nouveau responsable. À présent que j’ai mené à bien le déménagement du Projet de la FICR à l’ICVA, j’ai la sensation de pouvoir commencer à penser à ce que je souhaite faire de ce prochain chapitre de ma vie.
Et si je choisis de me retirer du bureau de Sphère, j’ai la certitude que je resterai en contact avec le Projet et le secteur.